
Mon premier contact avec un coati
Eh bien coati connais pas cet animal ? La rédaction (moi) ne garantit pas que l'article soit meilleur que ce jeu de mots.
GUATEMALAPREMIER CONTACT2024
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Voilà bien un animal injustement méconnu ! En Europe en tout cas, car en Amériques Centrale et Sudale, où il vit en bande dans la forêt, le coati n’est pas du genre à se cacher. Peut-être parce qu’il est un redoutable prédateur invincible (spoiler alert : non) ou peut-être parce qu’en cas de menace, l’agilité de ce mammifère lui permet de fuir rapidement dans les hauteurs des arbres à la manière d’un écureuil. Un grand écureuil, qui aurait bien mangé à la cantine. Imagine un raton-laveur ou un panda roux croisé avec un opossum qui aurait une longue queue touffue annelée. Ajoute un sifflement en guise de cri, saupoudre d’une bonne poignée de mignonnerie et tu sauras à peu près à quoi t’y tenir (ok, d'accord, les jeux de mots sonores à l’écrit, je vais me retenir).


Est-ce qu'il est pas trop chouchoubidou,
ce petit choupichouchounou ?
Je viens de réaliser un fait amusant, mon premier contact avec le mot « coati » s’est fait par le biais d’une bande-dessinée, comme pour le kookaburra ! La librairie spécialisée Sac-à-Papier de Saint-Nazaire, en France, m’accueillait depuis mon adolescence aussi souvent que mes finances me le permettaient et Yannick, son propriétaire et unique employé, me conseillait régulièrement. Tout ce grand gaillard pouvait être décrit par le seul mot « motard » tant il en incarnait le stéréotype. Il misait visiblement plus sur son enthousiasme que sur la communication mais il savait avec quels mots me partager ses suggestions : « ça c’est complètement débile, tu vas adorer », avait-il clamé un jour en laissant remuer son cigarillo au coin des lèvres et en me fourrant résolument un exemplaire de Pedro le Coati entre les mains. J’étais parti avec le premier tome des aventures d’une bande d’animaux qui se réunissent entre potes le soir après la fermeture de leur zoo et je crois que j’étais revenu dès le lendemain pour acheter les deux autres volumes existants dont la lecture m’apprit par exemple que les manchots sont pyromanes ou que les coatis sont d’excellents joueurs de belote.




Les trois tomes peuvent être difficiles à trouver mais valent le coup de chercher.
Un humour pas toujours plus fin que la résolution de cette image mais efficace !
Ce n’était pas pour en disputer un tournoi que je m’étais rendu au Guatemala en ce mois de juin 2024, j’avais plutôt l’idée d’aller marcher dans la jungle à la recherche de ruines mayas. Lors de cette expédition, mon but et celui des quatre autres personnes du petit groupe que nous étions était surtout d’aller de site en site jusqu’à l’éminent temple reculé d’El Mirador. Un aller-retour de cinq jours au départ du minuscule village de Carmelita allait nous mener à l’extrême nord du pays à travers beaucoup d’arbres, beaucoup de boue et beaucoup de constructions en pierres carrées : c’était à peu près tout ce que j’avais comme informations et ça suffisait à me réjouir.


Le Guatemala est un pays d'Amérique Centrale entouré par le Mexique (au nord), le Bélize, le Honduras (à l'est) et le Salvador (au sud). Tu vois Montceau-les-Mines ? C'est plus loin encore.
Je ne savais même pas quels animaux je risquais d’observer, je m’en remettais pour ça aussi à Linsa, notre guide. Si tu as connu Yannick-de-Sac-à-Papier, considère que Linsa-de-Carmelita est l’être humain qui s’en éloigne le plus : elle ne jure pas, ne fume pas, elle a une toute petite voix fluette, un tout petit corps frêle d'apparence et même pas de barbichette. L’imaginer sur une moto renvoie la même image que de jouer avec une puce sauteuse en caoutchouc qu’on retourne sur elle-même : si on la pose, elle saute. Elle n’emportait qu’un sac-à-dos d’écolier, pourtant marcher derrière elle donnait l’impression de suivre un bagage coloré à deux jambes et une tresse. Cela dit, je ne sais pas combien de secondes aurait survécu Yannick dans l'immense labyrinthe sauvage au sein duquel Linsa marche plusieurs milliers de kilomètres par an.




Au premier jour, alors qu’on n’a seulement mis les premiers kilomètres de forêt entre le village et nous, un des compagnons aperçoit quelque chose bouger dans les fourrés. On s’arrête en espérant apercevoir et identifier l’animal en même temps qu’on pronostique. Un singe ? Possible mais peu probable d’après notre guide, qui précise qu’ils vivent plus haut dans les arbres et plus haut dans la montagne. Un chien ? « Ils ne s’aventurent pas si loin du village à cause des pumas ». Un puma alors ? « Trop furtif, on ne l’aurait même pas aperçu ». Ah, tiens, pas très rassurant. Pour désamorcer la crainte que je vois naître sur deux visages je sors la première débilité qui me vient : « une girafe ? ». Linsa me regarde longtemps du haut de son demi-mètre avec tout l’aplomb de sa déception avant de m’annoncer que « il n’y a pas de girafes au Guatemala ». Elle était surement aussi attristée par cette absence que par cette blague mais elle a enchaîné avec sa dernière suggestion : «sûrement juste un coati ».
QUOI ? Comment ça, JUSTE un coati ? C’est comme ça que j’apprends qu’on a des chances d’en voir ? Mais c’est une info à publier dans la presse tellement qu’elle est super chouette ! Linsa n’a pas eu le temps de me préciser qu’aucune Super-Chouette n’habitait dans le coin avant que je ne lui demande la confirmation que oui, on allait très certainement voir des groupes de coatis roux (nasua nasua) en pénétrant plus avant dans la jungle. J’aurais voulu qu’on se mette tous à trotter tant cette nouvelle me rendait impatient.
Durant la première journée de marche, je n’en ai pas vu un bout de poil de museau mais on a pu observer plusieurs groupes de singes-hurleurs (alouatta pigra) en hauteur nous signifier qu’ils ne souhaitaient pas descendre nous hurler bonjour, encore moins qu’on monte les singer. Quand notre chemin nous faisait passer proche de leurs arbres, ils se déplaçaient de branche en branche pour venir secouer celles qui se trouvaient au-dessus de nous et ainsi tenter de nous couvrir de feuilles mortes et de brindilles. Peut-être qu’ils se sentaient menacés, comme l’est déjà leur espèce d’ailleurs, alors j’ai dû me résoudre à ne pas grimper leur faire des câlins, bien décidé à me rattraper avec des coatis.
C’est seulement à la tombée de la nuit du deuxième jour que j’en ai eu la première chance. Nous avions atteint le second des deux campements semi-permanents qui sont maintenus pour servir aux visiteurs sur leur trajet, à l’aller et au retour. De grandes chapes de béton détonnent dans les clairières mais gardent certaines portions protégées des inondations, notamment celles où les tentes sont dressées. Pour le reste, un point d’honneur est mis à ce que le bois soit utilisé autant que possible. Les mules partent un peu plus tôt que nous le matin avec une autre accompagnatrice qui nous offre à notre arrivée les luxes d’un feu réconfortant, d’un bon thé local et du fumet du plat en cours de cuisson. Ce sont les mêmes mules qui transportent les poutres qui constituent les abris, le camp étant inaccessible à tout autre véhicule qu’un hélicoptère.


Ce sont aussi les mules qui m’ont incité à interrompre ma digestion post-chili-sin-carne quand je les ai entendues entonner un genre de chorale soudaine et spontanée dans la soirée. Ça sonnait comme du Bourriquet Iglesias ou du Mulet Cyrus, ça m’a suffisamment intrigué pour que je décide de quitter mon hamac. Quand je suis arrivé à côté d’elles, elles s’étaient regroupées et semblaient toutes regarder dans la même direction. Il y avait donc bien quelque chose qui les avait sorties de leur torpeur ! En suivant leur regard je me suis avancé un peu dans l’herbe et le sol encore meuble de toutes les averses de la journée.
Je sentais sur mes épaules le poids des gouttes qui glissaient des feuilles des arbres en bordure du camp. Les sons les plus marqués étaient des hurlements de singes provenant d’à peu près partout. En quelques pas, je me trouvai à nouveau dans la forêt. La végétation obstruait ma vision, obscurcissait la nuit et une rafale de vent froid fit chuter toute l’eau retenue par les branches alentours. Je me rappelle m’être félicité mentalement d’avoir pris le temps d’attraper ma veste et une lampe en même temps que m’être désespéré moi-même de n’avoir pas pris de chaussures. Une jungle, la nuit, ça vit fort : qui savait ce qui pouvait me mordre un orteil ?.. Linsa. Linsa savait. Elle nous avait même parlé d’une morsure de serpent qui lui avait fait passer quelques jours dans le coma. Curieusement, cette pensée m’a stoppé net.
Curieusement aussi c’est dans la seconde qui a suivi que je l’ai vu : mon premier coati ! Yaaay ! Oubliés les serpents, les intempéries, les ténèbres, place à la joviale mignonnitude !
C’était très probablement lui qui avait effrayé les canassons en se pointant par surprise. Je ne sais pas quel sorte de bruit j’ai fait en le voyant mais je l’ai surpris à son tour et il m'a repéré, direct. Je ferais un très mauvais ninja de la jungle. Il m’a regardé. Je l’ai regardé. Il m’a regardé. Il m’a fait un signe de la patte, le pouce en l’air, un clin d’œil aussi, puis il a trottiné tranquillement en direction du coin cuisine d'où il a descendu un petit tas de branches, a escaladé facilement un morceau de tronc afin de progresser sur les trois planches inégales qui constituaient notre longue table à manger, le tout avec une agilité et une détermination qui laissaient supposer qu’il connaissait déjà très bien le camp. Peut-être même qu’il connaissait déjà Marta, notre muletière/cuisinière, ou qu’elle le connaissait, car elle a à peine levé les yeux pour lui jeter nonchalamment au loin un bout de tortilla trop cuite. Je ne crois pas avoir lu quoi que ce soit à propos de tortillas dans Pedro le Coati mais les galettes de maïs de Marta avaient l’air faciles à chasser alors je comprends.
Pendant quelques secondes j’ai pu observer ce nouveau petit pote se régaler : il a trotté vers un des plus gros arbres en vue puis à chaque branche qu’il atteignait il grignotait de ses mini-dents une mini-bouchée de son mini-festin qu’il tenait dans ses mini-pattes. A-do-ra-beu-leuh. Une averse a commencé quand j’envisageais d’aller lui chercher un bout de nos fruits pour mini-dessert alors je suis simplement retourné dans mon hamac tant que je devinais encore mon chemin entre les gouttes. Je me souviens encore de toute l’eau qui coulait dans ma bouche par la gouttière de mon sourire.
La journée du lendemain était consacrée à l’exploration des différents sites alentours. Temples, routes, stèles, réservoir d’eau, maisons, sépultures, bains de vapeur, local à poubelle, parc de stationnement, tabac-presse du Balto... Une ville immense avait existé sous nos pieds dont une faible proportion seulement restait émergée. Les estimations de sa population sont de l’ordre du million d’habitants à l'apogée et les raisons de son abandon sont encore à l’état de théorie. Chaque relief alentours cache potentiellement une structure de pierres taillées ensevelie sous des siècles de végétation libre. En prenant de la hauteur, par exemple en allant observer l’autel sacrificiel où de nombreuses vies ont dû être offertes à Chaac, dieu de la pluie, ou à Ixchel, déesse de la Lune, on réalise par le nombre de portions bombées dans la forêt à quel point la cité devait être étendue. En pointant l’index vers l’une d’elles, Linsa nous explique que la frontière avec le Mexique est devant nous, à portée de regard et de marche, qu’elle passe entre la butte avec le gros arbre penché et la grosse un peu carrée ; tout ce qu’on peut distinguer, nous, c’est l’immensité passée de la civilisation maya et celle de la nature qui reprend sa place, inéluctablement.


Ici, on voit aussi bien la frontière mexicaine
que mes talents de photographe
C’est ainsi, c’est l’ordre des choses, c’est au-delà du bien, du mal et de toute autre considération humaine. Enfin si tu veux savoir je dirais que c’est plutôt bien quand même, parce que ça fait qu’on a pu voir un autre coati ! On montait des marches par milliards au moins pour aller contempler le coucher du soleil depuis le sommet du plus grand édifice, rebaptisé El Mirador (le Point de Vue) par les archéologues, quand j’ai perçu du mouvement sur le côté, dans les bosquets, à quelques mètres de l’escalier. Ce petit pote a accompagné notre ascension à notre rythme jusqu’à la base supérieure du bâtiment d’où il a emprunté un arbscenseur pour rester à notre hauteur.


Où est Charlie coati ?
Une fois la nuit tombée, au moment de redescendre, impossible de savoir où il était passé évidemment. Mais il a dû aller voir tous ses co-coatis pour leur dire qu’on était un groupe sympa parce qu’au matin du quatrième jour, après moins d’une heure de notre trajet du retour, ils étaient entre vingt et mille perchés dans les branches autour d’une partie dégagée du chemin, créant une arche sifflante et poilue de laquelle pendaient des grappes d’un feuillage émeraude frétillant et une guirlande de plumeaux bruns annelés.




C’était difficile de savoir qui était le plus curieux. Quand l’un d’eux avançait vers nous, un autre semblait prendre ça comme un défi, s’approchait un peu plus et ainsi de suite, décimètre par décimètre. Et puis Linsa a suggéré qu’on se remette en mouvement « si on ne voulait pas camper ici ». J’ai réfléchi une seconde avant de souffler « ça me va » en m'asseyant et en ajoutant qu’ils pourraient toujours « dire à mes proches que je suis bien là où je suis ». Ils l’ont évidemment pris à la rigolade mais sont allés m’attendre plus loin pour me laisser profiter seul d’un moment privilégié.
Comme je réfléchissais sérieusement à des raisons de ne pas rester vivre de graines et de racines, j’ai finalement réalisé que je ne savais pas grand chose de la belote. Aujourd’hui encore ça m’évoque avant tout une boule de fil de laine alors j’ai fixé le coati le plus proche de moi et j’ai tenté un coup de bluff en lâchant quelque chose comme « je coupe l'entame au capot pour dix de der ». Il s’est assis sur ses pattes arrières, a incliné un peu la tête sur le côté et m’a sifflé sur une tonalité amusée que je ferais peut-être mieux de revenir quand je saurais de quoi je parle. Soit. J’ai repris à la main ma bouteille et mes chaussures, j’ai rejoint les autres humains et dans le même mouvement leur civilisation.
C’est sûrement pour le mieux, comme ça j’ai pu prendre le temps de te raconter cette rencontre. Tiens, sinon, on se ferait pas une belote ? J'ai appris des nouveaux termes, peut-être que bientôt j'aurai le niveau pour jouer avec lui :


Photo : Adrian Ratter
Photo-titre : Musée National (français) d'Histoire Naturelle
Photo de couverture : Gérard Semence